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Par Anne le 24/02/2023

Château Prince Pierre

La consécration d'un nouveau terroir

Situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Calvi, le bastion de Torre Mozza nargue les siècles et  les  affres du temps, du haut de la colline. Impressionnant, massif, rectangulaire, il trône fièrement sur  la  vallée imprenable. Si l’on s’attend à un charmant château, on est surpris ! Aujourd’hui il  n’en possède que le nom, mais dans quelques années, les restes du bâtiment se transformeront en un lieu d’accueil œnotouristique. La valorisation du domaine commence par la constitution du vignoble et  la  viabilisation du site. Bientôt la dénomination « Château » prendra tout son sens grâce à l’énergie de  Jean-Vincent et  Jean-Raphaël Grisoli, propriétaires des lieux depuis 2017.
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Entre Calvi et Galeria, la route sinueuse menant au château, longe et s’étire sur de monumentales falaises de granit rose. Les verticales escarpées sont colonisées par la végétation abondante. Les nuances azuréennes jouent les contrastes pendant que les effluves du maquis nous accompagnent. Au loin, se découpe la formidable silhouette dentelée d’un château très ajouré, sentinelle de la Baie de Crovani. Construit entre 1852 et 1854 par près de 300 hommes, il fut la demeure, le refuge, la « solitude » de Pierre-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er et cousin de Napoléon III. Nous grimpons sur le chemin de terre frayé aux abords des plants de jeunes vignes au milieu de la végétation insulaire. Nous nous arrêtons à près de 200  mètres d’altitude devant un cirque fantastique entre mer et maquis. Au sud-ouest, nous apercevons la mer et la majestueuse réserve de Scandola, en contrebas, un défilé linéaire végétal et rocheux que ponctuent les plantations parfaites du vignoble et à l’est, l’imposant site minier de l’Argentella. Bienvenue au Château Prince Pierre-Napoléon.

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RENCONTRE AVEC JEAN-VINCENT GRISOLI

« Mon frère Jean-Raphaël est déçu de ne pouvoir être présent ce matin, » s’excuse Jean-Vincent Grisoli. Nous empruntons le sentier ocre et rouge, menant sur le haut du plateau, la chaleur imprègne l’atmosphère. « Notre famille est originaire de Montemaggiore. Dans les années 1950, notre grand-père eut l’opportunité de racheter une petite maison en contrebas près de la mer pour aller pêcher. Nous passions nos vacances en famille à l’Argentella. Nous partions en moto jouer au château et nous rêvions déjà de le remettre en état ! » se remémore Jean-Vincent.

 

DEUX FRERES POUR UN REVE

Dans leur jeunesse, ils furent influencés par un membre de leur famille vigneron à Patrimonio. Ils poursuivent un temps leur ascension professionnelle. Puis, souhaitant revenir aux sources, ils décident de concrétiser leur rêve, acheter ou créer un domaine viticole en Corse. En 2017, les deux frères apprennent que le bastion de Torre Mozza, situé juste au-dessus de la maison familiale, est pour la énième fois à vendre. Ils présentent leur dossier aux institutions habilitées qui perçoivent leur projet sincère et viable. Ils acquièrent un terrain magnifique face à la mer et excentré dans la montagne : un arc de cercle de 180  hectares surplombant la vallée du Luzzipeu et exposé plein sud. Le point le plus haut de ces terres en coteaux de 35° de déclivité culmine à environ 300  mètres d’altitude.

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PRINCE PIERRE-NAPOLEON BONAPARTE

Depuis 2017, les frères Racine-Grisoli sont devenus propriétaires de cette immense bâtisse dont les vestiges sont conservés. Jean-Raphaël et Jean-Vincent se sont intéressés à la vie obscure et controversée du cousin de Napoléon III, dont ils se plaisent à conter l’histoire. « Pierre-Napoléon Bonaparte naît en 1815 à Rome. Il passe une enfance turbulente dans la campagne romaine de Canino.

Complexe, bon vivant, vindicatif et coureur de jupons, il est fait prisonnier par le pape Grégoire XVI pour l’assassinat d’un sous-lieutenant de la garde papale au cours d’émeutes ayant trait au mouvement révolutionnaire des « carbonari », mouvement politique ayant contribué à l’unification de l’Italie. Après un passage mouvementé aux États-Unis auprès de son oncle Joseph Bonaparte, il participe aux différentes révolutions de Bolivar en Amérique du Sud et combat notamment aux côtés du général Santander.

 En 1848, il rentre en France et est élu député de la Corse à l’assemblée la deuxième république puis président du Conseil Général de la Corse. Adorant chasser, Pierre-Napoléon s’aventure aux alentours de Calenzana et découvre un site splendide entre mer et montagne.

En 1852, il décide d’y faire construire son futur château à la place d’une fortification ruinée « La Torre Mozza ». Il s’agissait d’une des tours côtières érigées par les génois au XVe siècle qui prévenaient et défendaient les attaques des barbaresques.

Jusqu’en 1854, la construction du château rassembla plus de trois cents ouvriers et artisans de la bourgade. Un immense mur d’enceinte clôture les quatre hectares de jardin ainsi que le petit hameau où logent les ouvriers agricoles. Sur les terrains, des oliviers et des vignes sont plantés et des semences sont cultivées. Le domaine fonctionne en autonomie.

 La femme du Prince Pierre-Napoléon, Nina Bonaparte, ne supporte pas le calme du château et reste à Paris. Pendant ses escapades parisiennes, il lui fait deux enfants, Roland et Jeanne.

Pour la suite de cette croustillante aventure, venez écouter Jean-Raphaël qui se fera un plaisir de vous tenir en haleine ! Dans l’histoire contemporaine, le château servira d’école pendant la Seconde Guerre. Longtemps abandonnée puis très convoitée, la propriété a enfin trouvé ses acquéreurs en 2017.

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DES COMPETENCES VITI-VINICOLES POINTUES

Avant de planter les huit premiers hectares en 2018, Pierre Acquaviva du domaine Alzipratu et Etienne Suzzoni du Clos Culombu les conseillent et les orientent en matière de viticulture. Lionel Le Duc, ingénieur agronome et pédologue a percé des fosses pédologiques pour choisir les cépages les mieux adaptés aux sols d’arène granitique composés de sept granits différents. Il est aujourd’hui le directeur du domaine, expose Jean-Vincent Grisoli. Au moment de l’acquisition, l’œnologue conseil Emmanuel Gagnepain a lui aussi accepté de les suivre. « Nous avions beaucoup apprécié son travail lors de l’analyse de profils organoleptiques que nous souhaitions obtenir dans nos vins », détaille Jean-Vincent.

 

DES TRAVAUX PHARAONIQUES

Pour dénuder et viabiliser le domaine, les deux frères embauchent des équipes et s’impliquent avec passion dans ce travail. Ils entreprennent de démaquiser, épierrer, excaver, dessoucher plusieurs hectares au bulldozer et à la pelleteuse, avec l’enthousiasme et l’énergie comme moteurs. Ils conscientisent leurs efforts et leur travail dans le respect de l’écosystème, en adoptant un cercle vertueux. « Toutes les pierres ont été conservées puis recyclées pour reconstruire les murs, fabriquer des drains, paver les routes, créer des passages à niveaux. Sur cette immense surface, le travail est intensif. »

 

CONDUIRE LE VIGNOBLE

Sur le vignoble, le microclimat est très favorable à la culture de la vigne. « Les nuits sont fraîches et l’air circule bien sur tout le domaine. Cela évite les maladies cryptogamiques et permet d’avoir recours à des traitements très légers. Phytosanitairement, c’est parfait  ! » se réjouit le vigneron. D’ailleurs, le domaine en zone Natura 2000, non loin de la Réserve de Scandola, n’a jamais connu de traitement.

« Très venté, le vignoble bénéficie des entrées marines. Il nous a donc semblé évident de le convertir d’emblée en bio. Nous l’avons clôturé pour protéger les vignes des sangliers ». Le vignoble suit les principes de biodynamie en vue de la certification Demeter. « Notre ingénieur agronome Lionel Le Duc se penche sur la replantation de haies et la mise en place d’agroforesterie au sein des parcelles. » Les hectares ne cessent d’être travaillés, structurés, palissés et plantés. Audacieux, les deux frères visent l’aménagement des 45 hectares de vignoble. Un vignoble sur lequel les cépages blancs sont majoritaires. « Dans notre vignoble, c’est le Vermentinu qui domine. Il est complété de vieux cépages autochtones, Rimenese, Genovese, Codivarta, Bianco Gentile. En rouge, le Sciaccarellu, cépage phare de l’AOP Corse Calvi, prédomine, suivi par les Minustellu, Niellucciu, Aleatico, Carcajolo Nero et le fameux Cinsault qui résiste bien à la sécheresse », détaille le passionné.

 

L’EAU, SOURCE DE VIE

Lors des premières plantations, la mairie a concédé aux jeunes vignerons une partie de la capacité du barrage de l’Argentella pour arroser les jeunes pieds. L’eau étant primordiale sur l’exploitation, deux forages distincts, l’un à 80 mètres et l’autre de 95  mètres de profondeur complètent le dispositif. L’eau extraite remonte en haut du domaine grâce à des pompes. L’eau stockée redescend par gravité pour donner la pression aux tuyaux.

 L’an prochain, un pipe-line sera tiré du barrage de l’Argentella vers la propriété pour irriguer le domaine en cas d’épisodes de sécheresse.

 

LA NAISSANCE DES VINS

La première gamme « Argentella », présentée dans les trois couleurs, fait référence au lieu-dit, celle de la mine d’argent exploitée depuis l’antiquité et représente également la maison de famille, chère au cœur des jeunes vignerons.

Une autre gamme en sélections micro-parcellaires se décline autour de deux cuvées en rouge. Une première cuvée « Bleu impérial » en monocépage a été imaginée autour du Cinsault, aussi appelée « Blue Imperial » en Australie. Le choix du nom est parfait, c’est à la fois une référence au nom du cépage dans d’autres contrées et un clin d’œil à la lignée impérial du Prince Pierre-Napoléon !

Planté sur une parcelle de huit hectares sur le plus haut coteau pentu à 30%, il présente deux courbes de maturité différentes, le Cinsault s’exprime très bien sur les arènes granitiques.

« Pour cette cuvée, la maturation a été poussée quatre semaines au-delà de la maturité phénolique, nous étions étonnés car la couleur, d’habitude légère du Cinsault, était ici beaucoup plus prononcée et les tanins joliment présents. Les fruits noirs explosent littéralement en bouche. Une seconde cuvée « Lucien Bonaparte » en hommage au père du Prince Pierre a été conçue autour du cépage Sciaccarello exclusivement. Lucien Bonaparte était le président du Conseil des Cinq Cents en octobre 1799 et a sauvé son frère Napoléon de l’échec lors du coup d’État du 18 brumaire. Cette cuvée a été élevée durant plus de 22  mois en demi-muids et en œufs béton. Pour les années à venir, les deux frères ont plein de projets en tête comme la construction de la cave et du chai et la rénovation du château.

 « Nous aimerions aussi faire de l’huile d’olive extraite de nos oliviers bicentenaires et planter des amandiers, pistachiers et quelques agrumes », se réjouit Jean-Vincent Racine-Grisoli. De beaux projets pour ce domaine qui propose déjà des dégustations sur place et une visite du vignoble en buggies !

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LA DÉGUSTATION

La complexité granitique du terroir exprime son grain, dans la minéralité, la finesse et la salinité perçues dans les vins du domaine.

Cuvée « Argentella » 2021 Rosé : 70% Sciaccarellu, 20% Cinsault, 10% vermentinu. Pivoine à la robe brillante et cristalline, le nez riche sur les baies, groseille, mûre, arbouse présente des notes végétales, la bouche fruitée est ample et droite sur une jolie vivacité croquante, la finale est élégante et tramée par une fine salinité. Un bel équilibre.

Cuvée « Argentella » 2021 Blanc : 100% Vermentinu. Pressurage direct lent, macération pelliculaire de 24 heures à 10°C. Or lumineux aux reflets argentés, nez complexe et aromatique sur l’agrume, notes fines beurrées et briochées, délicate minéralité. L’attaque est ample et généreuse sur le pomélo et l’infusion, le cœur de bouche opulent accompagne la finale de sa fraîcheur végétale « pepsée ».

Cuvée « Argentella » 2021 Rouge : 70% Sciaccarellu, 30% Cinsault. Rubis profond brillant, nez gourmand, pâte de fruits rouges, poivre blanc, la bouche est souple et charnue sur des beaux tannins fondus, la finale s’étire sur la griotte et le noyau de pruneau.

Cuvée Bleu Impérial 2021 : 100% Cinsault. Robe amarante foncée séduisante, notes de fruits rouges bien mûrs, pruneau et cerise kirschée, la bouche généreuse décline la complexité aromatique de la liqueur de myrte, la finale droite est finement saline.

Cuvée Lucien 2020 : 100% Sciaccarellu. Robe rubis généreuse et profonde, sur les notes de cerise kirschée, coulis de fraise fraiche, poivre blanc, la bouche ample, charnue est dynamisée par des nuances aromatiques de gelée de groseille et de notes eucalyptus, le volume joliment tannisé s’allonge en une superbe finale.

 

Château du Prince Pierre-Napoléon Bonaparte

20214 Calenzana

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