image

Par Anne le 27/02/2023

Domaine de Torraccia

La quête philosophale du terroir

©CorseMatin ©CorseMatin
Le domaine se cache dans le maquis face à la mer, sur les hauteurs de Lecci de Porto-Vecchio au sud de  la  Corse. Perdus dans la végétation luxuriante, sur les plateaux vallonnés, les rangs de vignes vigoureux déroulent leurs perspectives ondulantes vers les blocs montagneux. A flancs de coteaux, les  parcelles verdoyantes, circonscrites de bosquets arborés, disparaissent vers l’azur de la mer. Ici  le  temps s’arrête, on écoute le végétal, on observe l’écosystème et on apprend la terre.

Nous bifurquons à l’embranchement sous le panneau indiquant la direction du domaine. La route gris-rose sinue en rentrant dans les terres, nous longeons des futaies et traversons des hameaux, le maquis s’offre dense et odorant. Au détour d’un sentier, derrière les chênes verts, la cave imposante en pierres de taille nous invite à la découvrir. Nous entrons dans la bâtisse, les cuves béton émaillées de blanc et rouge des années soixante côtoient les équipements modernes et l’espace linéaire dédié à la vente. Des plaques murales en mosaïques servent de repères et de frise du temps. Nous sommes chaleureusement accueillis par Marc Imbert, le regard bleu, limpide et lumineux. Le temps s’arrête, nous voyageons avec lui.

©CORSE MATIN ©CORSE MATIN

CHRISTIAN IMBERT, UNE INSTITUTION

Après quinze ans passés au Tchad, Christian Imbert débarque en Corse et tombe amoureux du  Domaine de Torraccia . Il l’achète en 1964 et plante ses premières vignes en 1966. Il choisit de cultiver les cépages Niellucciu, Sciaccarellu et Vermentinu, à l’encontre des variétés à la mode de l’époque.

 Selon lui, « le vin de Corse ne sera sauvé qu’à deux conditions : conserver sa typicité et atteindre un niveau de qualité élevé. » En cette période, il est difficile d’entrer sur le marché vinicole corse car les faibles rendements sont concurrencés par les gros volumes à bas prix de la Côte Orientale. Après avoir bataillé pour la reconnaissance en AOC des vins de Corse, Christian Imbert, escorté par un groupe de vignerons visionnaires et engagés dans la reconnaissance qualitative et identitaire des vins insulaires, fonde en 1976 « Uva Corse », l’union des vignerons propriétaires de caves, des appellations contrôlées de Corse. Cette association de passionnés est inspirée par le respect de la terre et le retour aux cépages corses. Le Domaine de Torraccia compte alors 110  hectares et comprend 41  hectares de vignes et 25  hectares d’oliviers. Les vignes sont palissées et renouvelées par provignage (marcottage). La conduite de la vigne se fait en respectant la vie du sol et du biotope : la vigne est traitée sans désherbants, sans insecticides, ni engrais chimique. Christian pratique l’engrais vert, il enfouit le lupin et l’année suivante, la vesce et le seigle. Il contribue à l’enracinement en profondeur des ceps de vigne en travaillant à la charrue, à la décavaillonneuse et au crochet. Les seuls traitements prophylactiques sont la bouillie bordelaise et la fleur de soufre. Les vendanges sont manuelles.

 

MARC, UN FILS A L’ESPRIT AFFUTE

Le fils de Christian Imbert, Marc, naît en avril 1964. Il grandit sur le Domaine paternel où il observe que la diversité du maquis s’exprime dans la vigne. Par la suite, il s’interroge sur l’implication du vigneron à révéler le goût du terroir.

Après quelques formations en œnologie, il part dix ans aux Etats-Unis pour acquérir un « bagage philosophique » pendant lequel il affine et complète ses connaissances en matière de techniques vitivinicoles. Là-bas, il se penche sur le problème du stress hydrique et il s’aperçoit que les longues tailles supportent mieux la pénurie d’eau. « Si tu n’as pas de capacité de ponction, tu n’as pas non plus de capacité de nutrition. Le véritable phénomène du stress hydrique, c’est un manque nutritif qui entraîne par la suite un retard de la photosynthèse. Souvent, en matière de stress hydrique, on a tendance à penser que plus il y a de matière végétale à nourrir, plus la plante a besoin d’eau ! Or, les études ont clairement confirmé que ce n’est pas la quantité d’eau qui est importante mais bien l’accoutumance fragmentée de la plante à l’eau.

Pour lutter contre le stress hydrique, il est nécessaire de la conditionner à un faible rythme d’irrigation pour renforcer sa résistance naturelle », détaille Marc Imbert. Ses recherches le poussent à analyser les protons hydrogènes des sols granitiques pour en comprendre les phénomènes d’acidification. Il découvre aussi que le cycle diurne de la microbiologie est intéressant à adapter aux cultures. « La compréhension du terroir, c’est mettre à nu tous les paramètres acquis. C’est s’obstiner à appréhender l’ADN du terroir pour mieux percevoir le lieu et accéder à l’intimité de la nature », selon lui. Marc est un sage érudit dont la vie est entièrement vouée à la quête de la transposition du terroir dans ses vins. Il observe l’écosystème, il comprend le vivant, il interprète la terre et il donne naissance à des vins qui captent l’âme.

 

LA RECHERCHE PERPETUELLE

Il y a trois ans, Marc signale à Michel Guagnini, son œnologue, qu’il est vidé de toute inspiration et qu’il est en quête d’une nouvelle philosophie. Il remarque que d’une année sur l’autre, il ne fait jamais la même chose et qu’il est « toujours dans une recherche perpétuelle ». Il oriente alors ses expérimentations. Il tente des expériences sur l’engrais vert, sur l’invasion d’herbes et le retard de labours. Il se questionne sur la désertification méditerranéenne, les cycles des saisons, la pénurie d’eau et les sécheresses intenses. Il constate un effet de désactivation de la synergie microbienne sur le végétal. Il a réussi à en modifier le cycle depuis cinq ans, mais rien n’est gagné ! Selon lui, il est essentiel de laisser les grosses masses végétales se développer et envahir le maximum de terrain. Le phénomène « des buissons », permettra au sol de résister à la sécheresse et de prévenir l’érosion.

 

UN VIGNOBLE BICHONNÉ

Le vignoble de 42 hectares, planté dans des arènes granitiques, a une moyenne d’âge élevée. Il est encépagé en rouge sur 34 hectares de grenache noir, Niellucciu, Sciaccarellu et 8 hectares en blanc de Vermentinu. Marc apporte un soin attentif à l’amélioration de sa gestion parcellaire. Il enrichit la vie du sol sporadiquement selon les besoins. Cette année, ni mulch, ni semences de vesce, féveroles ou radis. Il travaille son compost et envisage une fertilisation au crottin de cheval, il utilise de la silice en poudre, des décoctions de mimosa et traite la vigne à doses homéopathiques.

Soucieux de la santé de ses vignes, il a rapporté de la terre du maquis pour compléter les parcelles des crêtes et changer d’écosystème. Il tente les cofermentations Cinsault-Vermentinu et Niellucciu-Grenache et envisage même à court terme un programme de replantation de 5000 pieds de Vermentinu. Les vins sont exclusivement issus de l’agriculture biologique.

La vinification se fait dans la cave en gravitaire sur trois étages et il reste fidèle aux cuves béton et inox de son père, dans lesquelles il peaufine les assemblages et invente de nouvelles cuvées. Marc recherche constamment la précision des acides dans ses vins. Il explore l’expression du bois et tente des vins de « couvaison ». Depuis peu, il s’est aventuré dans un travail expérimental de fermentation et d’élevage en barrique « Selvatico ». La production annuelle, toutes gammes confondues, avoisine les 200 000  bouteilles. Dans l’avenir, il projette de s’orienter vers la qualité et de diminuer ses surfaces de vignes. Il désire une transition de plaisir pour être davantage dans ses vignes.

©domainedetorraccia ©domainedetorraccia

OBSERVER ET RESPECTER LE MILIEU NATUREL

La vigne pousse dans le maquis et bénéficie d’un merveilleux écosystème, la symbiose environnementale y est concentrée. Les travaux de taille et de tonte sont très réfléchis et raisonnés. Marc respecte son environnement. Si la biodiversité est fragilisée, il la laisse se régénérer sans la brusquer. Sensibilisé à la nature, il a observé un phénomène de transition dans la cohabitation des populations d’insectes et sur leur cycle de reproduction. En 2008, à la reprise du domaine, Marc ne comptait qu’une coccinelle tous les quinze pieds de vigne. Aujourd’hui, les coccinelles butinent un pied sur cinq comme en 1994. Depuis six ans, Marc ne s’éloigne plus trop de son domaine, il est en harmonie avec ses terres. Il veille à la vie !

 

PHILOSOPHE ET ARTISTE

« La philosophie a énormément d’importance, beaucoup plus que la technique ! J’ai eu la chance de fréquenter des personnes qui pensaient leur art et je développe tout un questionnement sur la façon de « travailler et de penser son art ! », nous explique Marc qui souhaite insuffler des vins dont la vérité sensorielle est perceptible mais ineffable. Un jour, ayant rencontré un photographe de renom, il lui a posé la question « Comment sais-tu que tu vas faire une bonne photo ? » La réponse l’a marqué, « l’une des choses que je recherche, c’est que lorsque j’appuie sur le déclencheur c’est le moment où cela ne me rappelle rien de ce que j’ai déjà pu photographier. Là, je sais que la photo est bonne ! »

 Pour Marc, « le vin c’est pareil ! Il faut susciter la surprise ! » Cela permet de dérouter le dégustateur. Le vin ne coïncide pas exactement à ceux gouttés, des nuances certes, mais peu de ressemblance !

 

QUAND L’ART GENERE LE VIN

Penser son art, c’est s’imprégner des dynamiques saisonnières qui influencent le métabolisme des plantes. C’est goûter le raisin, en saisir les forces d’évolution et parfaire sa connaissance intimiste. Travailler son art, c’est canaliser, maîtriser et extraire les expressions aromatiques et pédologiques parcellaires et parachever l’œuvre. C’est concevoir et élever la quintessence du vin à l’identité substantielle de son terroir. Ici, le granite gris apporte l’amertume minérale, le granite rose la salinité, la diorite bleue diffuse la minéralité. L’artiste Marc possède son propre panel des sens, il déguste rarement d’autres vins pour ne pas « brouiller son œnothèque intérieure », car à l’énoncé des assemblages, il en définit intuitivement le profil.

©domainedetorraccia ©domainedetorraccia

 

JOUONS LES GAMMES…

Les trois gammes « Domaine De Torraccia », « Alligria » et « Oriu » se présentent dans les trois couleurs, blanc, rosé et rouge. La vinification et l’élevage s’opèrent en cuve inox, cuve béton ou fût. L’évolution profile et affine la personnalité du vin et les contenants apportent rondeur, volume et complexité aromatique. Les vins frais sont énergiques, croquants, pleins et les rouges offrent des tanins bien ajustés. La dernière cuvée « Salvaticu », est un Vermentinu fermenté et élevé en barrique riche et opulent.

©CORSE MATIN ©CORSE MATIN

… ET DEGUSTONS !

 

« Domaine De Torraccia » blanc 2021 : cuve inox, relief aromatique, notes de fleurs blanches, vivacité, citrus, jolie salinité, la longueur développe de fins amers.

 

« Oriu » blanc 2021 : 100% cuve inox, notes d’agrume et herbes du maquis, volume et tension, juteux et salivant belle finale équilibrée.

 

« Alligria » blanc 2021 : vinifié et élevé en barrique. « Riche, gourmand, frais et vanillé joliment boisé, notes végétales et agrume, légère expression minérale sur le granit gris. Garde 5  ans.

 

« Salvaticu » blanc 2017 : notes marines, iodées, agrumes, volume et complexité lactique, une approche moderne du vin. A carafer.

©CORSE MATIN ©CORSE MATIN

 

LES VISITES

 

A pied, un verre de vin à la main, venez découvrir l’incroyable écosystème du Domaine de Torracia. Entre mer et montagne, profitez d’une balade en vélo dans les vignes, d’une sortie en famille au cœur de la nature corse ou d’une balade insolite en calèche. Le Domaine organise aussi des événements dans les vignes : les spectacles de Musique classique « Opus Corsica ». Quatre spectacles sont prévus début et fin juillet 2022. Les bottes de foins servent de sièges. Tous les mardis, de début juillet jusqu’au 13 août, le Domaine de Torraccia rassemble environ 400 personnes et présente des groupes de musique corse.

 

Domaine de Torraccia

20137 Lecci

Tél. : 04 95 71 43 50

www.domaine-de-torraccia.com

©CORSE MATIN ©CORSE MATIN

Localisez

A lire sur le même sujet

AUTOUR DU VIN

Les offres à ne pas manquer

AUTOUR DU VIN